mercredi 22 août 2012

Nouveau départ - Partie 3 de l'interview de Jim Rogers dans Market Wizards

Au fait, et j’aurais dû vous poser la question avant, mais comment en êtes-vous venu à ce métier ?
 
Par hasard. En 1964, alors étudiant, j’ai décroché un job d’été dans une firme de Wall Street par l’intermédiaire d’un ami. Je n’y connaissais rien à l’époque. Je ne connaissais pas la différence entre une action et une obligation. La seule chose que je savais à propos de Wall Street, c’est que c’était quelque part dans New York et qu’il s’y était passé quelque chose de fort déplaisant en 1929. Après ce job d’été, je suis parti à Oxford. Pendant que les autres faisaient la fête, je lisais le Financial Times.

Et après Oxford ?

Je suis parti à l’armée. En 1968, quand j’en eus fini, je suis retourné à Wall Street. J’investissais tout ce que je pouvais. Ma première épouse me disait « il nous faut une télé ». Je répondais « Pourquoi une télé ? Mettons l’argent sur le marché, et nous pourrons avoir dix télés ».

Que faisiez-vous alors?

J’étais junior analyst.

Vous étiez sur quelles actions ?

Mécanique industrielle et agences de publicité.

Vous investissiez dans ces actions ?

J’investissais dans tout.

Avec réussite ?

Je suis entré sur le marché début août 1968, pile poil au plus haut. J’ai perdu beaucoup, mais il me restait un peu. En janvier 1970, j’étais convaincu que nous aurions un bear market ; j’ai pris tout ce que j’avais et j’ai acheté des puts. En mai, j’avais triplé mon capital. En juillet, j’ai commencé à vendre à découvert. En septembre, j’étais ruiné ! (« Wiped Out », NDLR). Ces deux premières années étaient géniales ; j’étais passé du statut de génie à celui d’abruti.

Donc vous étiez de retour au point zéro en Septembre 1970 ?

Oui. J’ai raclé les fonds de tiroir et je suis revenu sur le marché. Je n’en avais vraiment rien à faire des télés et des sofas. Ma femme m’a quitté. J’étais l’entrepreneur personnifié. Tout ce que je trouvais, en temps, en argent et en énergie, je le mettais dans le marché.

Vous n’investissiez alors que dans des actions ?

Non, dans tout. Obligations, actions, monnaies, matières premières.

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à tant de marchés ?

Je m’intéresse à tout depuis le premier jour. Et J’ai toujours eu du flair pour les fluctuations de monnaies. Quand j’étais étudiant à Oxford, je savais qu’ils allaient bientôt dévaluer la Livre. Et effectivement, c’est arrivé – mais un an plus tard. Comme d’habitude, j’étais un peu trop tôt.

Après votre déroute de Septembre 1970, comment vous êtes-vous remis en selle ?

Mes premières pertes m’ont beaucoup appris. Depuis, et je n’aime guère m’en vanter, je n’ai commis que peu d’erreurs. J’ai vite appris à ne rien faire – à moins de savoir parfaitement ce que je faisais. J’ai appris qu’il valait mieux ne rien faire et attendre de maitriser un concept et un prix si parfaitement que, même si vous avez tort, vous n’allez pas trop en souffrir.

Avez-vous eu des années dans le rouge après vos premières déconvenues ?

Non.

Comment avez-vous rencontré George Soros ?

En 1970, je travaillais pour lui à Arnhold & Bleichroeder.

Et vous avez commencé le Quantum Fund ensemble?

Nous sommes partis de A&B parce qu’on ne nous autorisait pas à toucher de commission sur nos trades. Soros était le senior partner, moi le junior partner. Le jour où nous avons commencé, il n’y avait que lui, moi, et une secrétaire.

Que faisiez-vous au Quantum ?

Nous investissions dans tout – tout ! Long et short, en Amérique et dans le monde.

Comment vous partagiez-vous le travail ?

George était le trader, moi l’analyste. Je venais avec l’idée, lui avec l'éxécution. Quand nous n’étions pas d’accord, nous ne faisions rien. Ceci dit, ça n’arrivait vraiment pas souvent. Je déteste dire ça, parce qu’investir avec le consensus est généralement une catastrophe, mais Soros et moi étions essentiellement tout le temps d’accord l’un avec l’autre.

Comment évaluiez-vous le risque de chacune de vos positions ?

Nous ne le faisions pas. Nous nous contentions de couper nos positions les moins attractives pour sauter sur les opportunités qui se présentaient.

C’est original.

Certainement. Même aujourd’hui, je n’ai jamais rencontré qui que ce soit qui procède ainsi. Mais George avait une maitrise tout à fait exceptionnelle du trading.

Mais comment faites-vous, maintenant que vous êtes « retraité » [Rogers est un investisseur indépendant qui aime se présenter comme un « retraité », NDLR] ou même à l’époque où vous étiez au Quantum , pour suivre tant de marchés à la fois ?

J’ai passé tant d’années à intégrer toute ce que je pouvais – tout, livres, magazines, études, recherches, etc. que j’ai pu développer un grand sens de la perspective sur de nombreux marchés. Quand j’enseigne, les étudiants sont souvent stupéfaits devant mon niveau de connaissance historique de la finance. Je connais tous les bull et bear market de l’histoire depuis le 18eme siècle. Je crois que c’est ça, qui me permet de suivre tant de marchés à la fois. Car les marchés, justement, ont toujours été identiques, et ils seront toujours identiques. Les délires et fantasmes sont à chaque fois les mêmes. Des peurs paniques aux euphories hystériques, toujours les mêmes !

J’imagine que le grand krach de 1987 est une parfaite illustration de votre théorie ?

Bien sûr. C’était l’hystérie, tout le monde pensait que les prix allaient monter pour toujours. La théorie de l’époque, c’est qu’on allait manquer d’actions, que l’offre d’actions allait s’épuiser parce qu’il y avait trop d’argent [il rit]. Quelques mois plus tard, il y avait pléthore d’actions mais pénurie d’argent !

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